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Etudes et Recherches sur la Savoie - Benoît Brassoud

Extraits du DEA en Géopolitique de Benoît Brassoud
Comme il en faut un et que cette partie correspond à ma branche, je me permet de vous présenter une partie de mes "oeuvres". Pour la présentation rapide et ceux qui ne le savent pas: j'ai bossé sur l'identité en Savoie et principalement sur les mouvements régionalistes (MRS et Ligue savoisienne) dans le cadre de ma Maîtrise en Géographie (Université de Savoie) et de mon DEA en Géopolitique (Paris 8 - Saint-Denis).
Je ne pense pas pouvoir entrer la maîtrise et le DEA sur le site, mais en attendant de l'ouverture d'une page perso où ils seront accessible, je vais mettre en ligne mon article paru dans les "Cahiers Savoisiens de Géographie" (sept. 2001, édité par le Labo de Géo de l'Univ. de Savoie) et résumant, en partie, ma mâîtrise, ainsi que l'intro et la conclusion de mon DEA.
Par ailleurs, je vais commencer aussi par mettre en ligne la bibliographie qui m'a permis de travailler jusqu'à présent sur ce sujet. Si certains connaissent d'autres ouvrages que ceux cités, je veux bien obtenir les références. D'ailleurs, tous ceux qui ont travaillé dessus ou qui souhaitent le faire peuvent me contacter.
Je pense avoir dit l'essentiel donc je vous laisse juger. Je tiens à préciser que les propos tenus dans mes extraits n'engage que moi et non les responsables du forum et encore moins les universités (et blablabla... pour les formalités d'usages)

Bonne lecture

B-noa, contact

BRASSOUD (B), La Ligue savoisienne à la recherche d'une légitimité politique: la résonnance territorialisée d'un discours identitaire. Contribution à une analyse géopolitique des ligues régionales. Sous la dir. de GIBLIN (B), Université Paris 8 - Vincennes - Saint-Denis, 2002, 238 p.

L'Université d'origine et Abadtè n'entendent donner aucune approbation ou improbation aux opinions émises dans ces extraits. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur.


Résumé: Emergeant à la moitié des années quatre-vingt dix, la Ligue savoisienne cherche à s'implanter dans le quotidien des Savoyards. Elle revendique la souveraineté d'un Etat de Savoie, alors que ce dernier n'a existé qu'au travers du noyau d'une principauté, celle des De Savoie, puis celle d'une portion des Etats de la Maison de Savoie, reposant sur les deux départements français, la Savoie et la Haute-Savoie.
Utopie ou projet réaliste, les Savoisiens, qui se distinguent des Savoyards, désirent profondément donner à la Savoie une autonomie qu'ils légitimisent par la caducité du Traité de Turin de 1860, acte du rattachement, ou d'annexion, de la Savoie à la France.
Voilà presque 8 ans, la Ligue savoisienne est entrée en scène avec la remise en cause polémique de la caducité du traité, mais, depuis 1997, en devenant plus structurée, elle s'institutionnalise et commence à devenir un acteur incontournable dans la défense des intérêts des Savoyards. Elle a obtenu d'ailleurs un siège de conseiller régional en 1998, ce qui est, à ce jour, l'une des seules victoires du mouvement, avec le réveil des acteurs traditionnels locaux qui ont réagit en créant l'Assemblée des Pays de Savoie.
La Ligue, bien que fortement critiquée par ces acteurs locaux sur son aspect strictement économique, voire égoïste, rassemble autour d'elle des adhérents et des sympathisants issus de différents courants politiques, voyant en elle le moyen d'obtenir la maîtrise territoriale de la Savoie par les Savoyards.

Plan

Avant-ProposIntroduction

1ère Partie : La Ligue savoisienne : à la recherche d'une légitimité locale
I- Une stratégie de départ remise en question par des acteurs traditionnels…
A- Une stratégie d'engagement bouleversée par les représentation
a. De la nécessité de se faire connaître et reconnaître
b. De la perception liguiste chez les acteurs locaux
B- Une définition savoisienne ambiguë
a. Quelle(s) définition(s) pour la Ligue savoisienne ?
b. La Ligue savoisienne : un parti politique savoyard
II- … qui souhaitent cependant récupérer le phénomène
A- Une légitimation populaire ?
a. Un mouvement limité ?
b. Une structuration partisane soumise au territoire ?
B- Une légitimation par la récupération politique
a. De la récupération politique du phénomène savoisien
b. De la virginité en politique

2ème Partie : L'entrée en République de la Ligue savoisienne :
La légitimation par les urnes
I- Une entrée remarquée grâce à l'établissement rapide de bastions savoisien
A- Le choix stratégique de l'abstention ou la participation sans compromission
a. Les législatives de 1997 : une participation pour « se compter »
b. Sécessionniste du Sud et décompte à la savoisienne
c. L'ombre de la Ligue
B- Le défi savoisien ou l'acceptation stratégique du jeu politique français
a. Régionales et Cantonales de 1998 : le défi politique savoisien
b. Cantonales et Municipales de 2001 : le véritable teste politique de la Ligue savoisienne
c. Législatives de 2002 : l'entrée dans la cour des grands
II- Essai d'interprétation électorale : une légitimation territoriale ou contestataire
A- Le vote savoisien : un vote géographique et identitaire… ?
a. Le vote savoisien : un vote territorialisé
b. La permanence du vote identitaire en Savoie
B- … ou un vote identitaire égoïste ?
a. Un vote d'opposition aux centres de décisions ?
b. La volonté d'être visible et audible se transforme-t-elle
en expression locale

Conclusion


Avant-propos
« L'abondante collection des histoires de la Savoie révèle une interrogation permanente sur le pays, comme si chaque génération avait besoin de nouvelles certitudes et de nouvelles réponses, comme si l'on avait jamais fini de l'étudier et de le représenter aux Savoyards eux-mêmes et aux "étrangers". Comment s'étonner de l'ignorance des non-Savoyards et du préjugé anti-savoyard des Parisiens, constamment dénoncé depuis plus d'un siècle, alors que les Savoyards font tant d'effort pour insister sur leurs divisions, leurs "nuances", leurs "petits pays" que l'unité de leur province paraît bien problématique ou tout au moins difficile à percevoir ? Chaque auteur est ainsi pris entre deux difficultés contraires, la nécessité de révéler et de démontrer des traits communs et des permanences mais aussi celle de présenter les nuances locales nécessaires ; la première risque toujours d'amener des simplismes primaires mais la seconde peut entraîner des complexités lassantes pour un public non-averti !(…) » PALLUEL-GUILLARD, 1991, p. 7.

A chaque fois qu'il m'est arrivé de présenter mon sujet de DEA ou à l'occasion d'entretiens, une question ou plutôt une réflexion brûle d'emblée les lèvres de mes interlocuteurs : « mais vous êtes d'origine savoyarde ? » J'en suis surpris. Ce sujet n'intéresserait-t-il que les Savoyards ou bien le fait d'être Savoyard est-il un obstacle à la neutralité axiologique d'une recherche ? Pour les uns, mon origine serait un avantage si j'en crois l'analyse tenue par André Palluel-Guillard dans la revue L'Histoire en Savoie consacrée à « Histoires et Historiens de la Savoie » (mars 1991) : « Qui est capable d'écrire une histoire de la Savoie ? D'abord un Savoyard, seul capable de comprendre la nature profonde de la province. L'opinion locale permet bien aux "étrangers" des travaux d'érudition mais ne saurait admettre qu'ils aillent plus loin (…) On admet les initiatives extérieures à la seule condition d'une origine savoyarde ou plus simplement d'une résidence savoyarde accompagnée d'une certaine célébrité locale. » (je souligne, pp. 7-. Certes, je n'entreprends pas ici une Histoire de la Savoie. Du côté universitaire, le reproche qui me serait fait serait celui de développer un discours subjectif, et donc partisan, que l'on oppose à une approche durkheimienne du rapport à la chose (DURKHEIM, 1895). Je suis savoyard, et encore que du côté paternel, mais en cette qualité je ne cherche pas à apporter La vérité mais bien entendue Une vérité : La mienne, faite de contradictions et de représentations. Je souhaiterais à ce propos citer une phrase de Talleyrand, que j'ai pu retrouver à plusieurs reprises dans mes lectures, « Je vous prie de remarquer Monsieur, que je ne blâme ni n'approuve : je raconte. » Cette épitaphe sert souvent aux chercheurs à mettre en avant leur sérieux dans le travail scientifique, la distance à la chose étudiée. On sait, depuis Weber, que « je » n'est pas indépendant du rapport aux valeurs du chercheur. L'étude qui suit se placera donc dans cette ambiguïté : un discours dans une tradition rigoureuse universitaire et un regard critique, personnel.
Pourquoi un sujet sur la Savoie ? Il me semble que mon intérêt pour mon pays, et je dis bien « pays » avec tout le poids symbolique que l'on peut mettre derrière ce terme, ait vraiment émergé à l'occasion des Jeux Olympiques d'Albertville. J'ai senti lors de la cérémonie d'ouverture tout le poids de cet héritage. Je suis passé d'un état latent à une affirmation. Mes études m'ont amené, par la suite, à approfondir ce sujet au cours d'un TER de maîtrise sur l'identité savoyarde. Mais qu'est ce qui fait que l'on se revendique savoyard ? Etre savoyard c'est un choix, une manière d'être, un rapport à la spécificité territoriale - la montagne - plutôt qu'une revendication ethnico-linguistique. Il n'est donc pas question ici de revendiquer un statut institutionnel, mais seulement de traduire un sentiment.
Cette année j'ai voulu travailler plus particulièrement sur la place de la Ligue savoisienne dans l'arène politique savoyarde. Je tiens à avertir mon lecteur que je ne suis pas adhérent au Mouvement savoisien. Il me faut cependant préciser que je suis, par contre, partisan de la création d'une région Savoie.

Par souci de clarification et de compréhension pour la lecture, ci-joint ma définition pour l'usage de certains mots. Ainsi, le terme "Savoie". Son usage est polysémique (définissant tout ce qui a attrait à la Savoie : hommes, culture, tradition…), mais surtout il recouvre géographiquement un territoire défini - le département de Savoie - et certains moins clairs comme la regio sabaudia, qui reprendrait les limites des deux départements français (Savoie et Haute-Savoie) ou appelé aussi récemment les Pays de Savoie, ou comme les anciens territoires des Comtes et Ducs de la Maison de Savoie, variable suivant les époques et les conquêtes. Dans la Savoie d'origine, celle de la famille régnante, étaient regroupées les six provinces historiques (Savoie Ducale, Genevois, Maurienne, Tarentaise, Faucigny et Chablais), les autres territoires conquis étaient appelés les Etats de Savoie (rassemblant la Bresse au Valais, du Canton de Vaud à Nice, ainsi que le Milanais, le Piémont…).
Pour cette recherche, j'ai souhaité délimiter l'appellation géographique à la limite des deux départements français : Savoie (Chambéry) et Haute-Savoie (Annecy), qui regroupent respectivement La Savoie Propre (ou Ducale - Chambéry), la Maurienne (Saint-Jean-de-Maurienne) et la Tarentaise (Moûtiers) pour le département de la Savoie et le Genevois (Annecy), le Faucigny (Bonneville-Annemasse) et le Chablais (Thonon-les-Bains) pour celui de la Haute-Savoie. Ces derniers seront appelés, soit par leur terminologie administrative lors de citations extraites de documents officiels, soit par la terminologie suivante : Savoie du Sud - pour le département savoyard - et Savoie du Nord - pour le territoire haut-savoyard, afin de faciliter la lecture du texte.
L'appellation des habitants de la Savoie a donné lieu à un véritable débat lors de la création de la Ligue savoisienne. Doit-on dire Savoyard ou Savoisien (on trouve aussi Savoien ou encore Savoyen) ? Sans rentrer dans ce débat, j'utiliserai le terme "savoisien", voire "liguiste", quand je ferai référence aux membres de la Ligue savoisienne, dans les autres cas le terme "savoyard" sera utilisé. J'emploierai aussi "la Ligue" pour parler de la Ligue savoisienne comme il en est d'usage, maintenant, dans la presse quotidienne régionale.


Introduction
Voilà dix ans déjà, le département de la Savoie organisait la grande messe du sport, lors des Jeux Olympiques d'Hiver à Albertville. L'occasion pour tout un département, mais aussi pour la Savoie, de présenter au monde un savoir-faire en matière d'accueil, de culture et surtout de sports d'hiver. Philippe DECOUFLÉ, chef d'orchestre de la cérémonie d'ouverture, offrait pendant un instant sa vision de la Savoie : « Les clichés m'ont plu. Ils nous racontaient des histoires. Nous nous les sommes appropriés. Le ramoneur, les costumes, la montagne, les cloches des vaches, le beaufort et le reblochon, les chalets aussi. Nous avons joué avec eux, nous les avons transgressés pour les sublimer. Pour porter sur eux un regard moderne. Ce fut un plaisir, un combat aussi. Car tout cela appartient au passé des Savoyards et ils y sont, justement, attachés. Certains s'inquiétaient, allait-on se moquer d'eux ? Parfois il a fallu convaincre… » La réussite n'en était pas moins là. En effet, la Savoie était en fête et les Savoyards étaient fiers de ce qu'ils avaient pu offrir.

En 1995, on apprend qu'un groupe de Savoyards, rassemblé autour d'un mouvement identitaire, dénommé Ligue des Droits de la Savoie (vite devenue Ligue Savoisienne) proclame son intention de se détacher de la France en vertu du non-respect du Traité de Turin de 1860, scellant le rattachement de la Savoie à la France, plus couramment appelé Annexion. Doit-on s'étonner de la naissance d'un tel mouvement quelques années après l'organisation des jeux ? La corrélation n'est peut-être pas évidente. Pourtant, ces jeux ont été une forme de catalyseur qui a fait prendre conscience aux Savoyards qu'ils avaient une culture originale. Pendant quinze jours, ils ont oublié leurs frontières naturelles et mentales, frontières qui séparent chacune des grandes vallées alpines de la Savoie, pour voir à travers la petite lucarne une Savoie rayonnante, même si elle n'est faite que de clichés… Ces clichés sont pourtant les leurs. En fait, les Jeux ont permis à certains de redécouvrir les spécificités qui font la Savoie et à d'autres de réaffirmer leurs adhésions aux spécificités locales sans être, cette fois-ci, catalogués de rétrogrades. Déjà quelque 130 années plus tôt, le traumatisme de l'Annexion (LOVIE J, 1977) avait entraîné le développement de structures pré-régionalistes avec la naissance de Sociétés savantes dans les différentes provinces (Académie de la Val d'Isère - 1865 ; Académie Salésienne - 1878 ; Académie du Chablais - 1886 ; et plus tardivement, l'Académie du Faucigny en 1938) , désormais garantes de l'histoire de la petite patrie. L'Annexion a marqué la fin d'une histoire/d'un lien affectif entre la Savoie et la Maison de Savoie. Cette scission affective a sûrement commencé avec « Emmanuel-Philibert, le premier Italien de cette ancienne famille montagnarde, le premier responsable de l'abandon du berceau alpin pour le mirage de la plaine du Pô. » et le Risorgimento, c'est-à-dire la question italienne. Le Traité, où plutôt le choix du prince en 1860 a été perçu par les Savoyards comme un abandon de la famille régnante, originaire de leur patrie. En effet, autant l'identité savoyarde était calquée sur la personne du souverain avant 1860, autant après l'Annexion la perte de ce repère va entraîner un processus de recherche d'identité. Ce dernier passera par le travail de ces Sociétés Savantes.
Ces travaux pluridisciplinaires marquent un intérêt d'une partie des Savoyards, essentiellement des notables, pour leurs origines. On va retrouver, de façon décuplée et populaire, ce regain d'intérêt pour l'origine avec le centenaire du "rattachement" de la Savoie à la France en 1960. Avec les deux guerres, une partie de la culture et des traditions (patois, costumes…) avait peu à peu disparu. Les années soixante sont l'occasion de faire le bilan sur ces cent années d'annexion, elles sont surtout une période de stabilisation des populations, de l'économie et une diffusion du confort moderne. On est face à l'établissement « d'une hiérarchie des besoins développés par certains psychologues, selon laquelle l'homme cherche d'abord à satisfaire ses besoins élémentaires, d'ordre physiologique. C'est seulement quand sa sécurité et sa subsistance sont assurées qu'il se découvre des besoins non matériels, d'ordre esthétique, intellectuel ou relationnel… » (MAYER, 1999) constatée par Roland Inglehart (La révolution silencieuse, 1977). Le moment est venu pour les Savoyards de manifester une certaine spécificité locale loin du nivellement national. C'est ainsi qu'apparaît le Club des Savoyards de Savoie en 1965. Français, mais avant tout Savoyards, ils réclament une certaine considération de la culture locale. « Nous nous sentons loyalement associés à eux (les Français)… mais tendant vers le fédéralisme, (notre association) se veut surtout gardienne d'une identité savoyarde, luttant contre le nivellement… » (PLANCHE, 1981, p.125). De la scission de ce mouvement naîtra le Cercle de l'Annonciade en 1969. A aucun moment, ces différents mouvements n'ont prôné de « véritable perspective institutionnelle d'ensemble. Au-delà de la défense de la "culture régionale", objectif en tous points respectable mais qui les expose en permanence au risque de la nostalgie, ils sont incapables de proposer une vision "techno-économique" qui leur soit propre car peu d'entre eux s'astreignent à défendre les modes économiques qui sont les équivalents de cette culture dont ils se font les chantres(…) » .
La loi de 1972 « portant sur l'organisation et la création des régions » (publié le 5 juillet 1972) va permettre une évolution de la revendication régionaliste. En effet, la perspective régionale de cette loi oblige les Savoyards de Savoie et l'Annonciade à mettre leur effort en commun pour revendiquer une région Savoie. De cette volonté naîtra le Mouvement Région Savoie (MRS), qui lancera une pétition en faveur d'une région dans tout le territoire , et elle permi le débat au niveau des instances départementales . On n'entendit plus parler du MRS suite à l'échec des débats institutionnels jusqu'aux élections régionales de 1986 où ce dernier fit un score raisonnable (6% en Savoie du Sud et 4% au Nord). On le retrouva aux régionales de 1992 et aux européennes de la même année mais l'élan de 1972 n'y était plus. Depuis, hormis des réunions en petit comité, le MRS dépérit. Entre temps, des électrons libres revendiquant un indépendantisme sont apparus - Savoie Libre de Dénarié et Notre Savoie de Pierre Ratineau - mais sans réel écho auprès des populations. De 1986 à 1992, la Savoie est redevenue une province française paisible, intégrée dans la région Rhône-Alpes et plus personne n'y trouvait à redire.
Coïncidences ou non, il faut analyser le centenaire de l'Annexion et les Jeux Olympiques comme des facteurs déclencheurs d'une prise de conscience identitaire au même titre que l'Annexion. Et par delà, pousser l'analyse jusqu'à dire qu'ils ont réveillé un régionalisme sous-jacent chez une partie de la population. On suppose en effet que la revendication de la spécificité savoyarde (MRS) a du mal à se manifester ou à trouver un écho en dehors des enjeux électoraux. Pourtant, ces facteurs ont permis une prise de conscience quant à l'existence d'un particularisme.

Je l'ai souligné plus haut, il existe une contestation - en majorité politique plutôt que populaire - sous le régime sarde (fin XVIIIe-1860) et cette demande de prise en considération d'un territoire s'est perpétuée et s'est propagée chez les Savoyards. L'analyse de l'Histoire de Savoie ne nous donne aucun exemple de mouvements de masse (excepté au début du XIXe,1830 et 1848) ou violents, revendicatifs sur un statut particulier à donner à la Savoie. Et les 130 ans qui ont suivi la période de l'Annexion n'ont pas démenti une certaine passivité, apathie, de la population, même lors de la suppression de la grande Zone franche (1860-1923) ou de la Zone neutre (durée 1815-1920).
Cet état de fait est à l'origine d'un étonnement quand, en 1972, le seul cas de débat à propos de la loi Pompidou s'est trouvé en Savoie. Mais le plus grand étonnement des spécialistes de la Savoie, et même des représentants de l'Etat, est celui de 1995 quand un nombre de Savoyards, sous l'égide de la Ligue savoisienne , mené par Jean de PINGON, « membre remuant et déçu du MRS » (BARBIER/BRO, 1998, p.85), et Jean-François PERONNIER, ancien membre de la Confédération de Défense des Commerçants et Artisans pour la Savoie du Nord, revendique une Souveraineté toute savoisienne en vertu de la violation des traités de 1815 et de 1860. « Ces violations rendraient caduc le Traité d'annexion. La Savoie se trouverait ainsi libre de toute allégeance à l'égard de ce pays. » (ibid., p.86). Désormais, le régionalisme savoyard s'est doté d'une mouvance séparatiste, au discours radical par rapport à ses prédécesseurs. La naissance de ce mouvement pourrait s'expliquer par deux facteurs. D'une part les revendications régionalistes précédentes n'ont pas abouti ou n'ont pas permis de faire évoluer la prise en compte d'une sensibilité savoyarde.. Et, d'autre part, elle apporte une vision nouvelle, un choix possible, que les médias et les élus locaux ont rapidement qualifié d'utopique. Plus besoin de l'Etat français, la Savoie peut-être viable économiquement parlant. L'échec du régionalisme et ce discours radical amèneront une certaine catégorie de la population à se rapprocher du mouvement : des déçus du MRS, des membres du Cercle de l'Annonciade ou d'anciens sympathisants régionalistes, individus qui ont été touchés par la crise des années 90 (ou nonante, comme on le dit dans le Nord de la Savoie).
Trois années plus tard, ce mouvement, que l'on assimilait à un effet de mode, une réaction face à la mondialisation, laissait perplexe les acteurs politiques locaux en s'engageant dans les Régionales de 1998, mais surtout en obtenant sa légitimité dans ce champ politique en gagnant un siège de conseiller régional. La cartographie des résultats était presque parfaite, la majorité des bulletins savoisiens suivaient approximativement les limites d'une vallée ou d'une province. Je souhaitais donc tester la véridicité (Foucault) de cette observation et surtout avancer une explication à ce phénomène.
Au regard des suffrages exprimés en faveur de la Ligue, peut-on déduire qu'il existe des terrains plus favorables que d'autres au discours savoisien ? Tout en reprenant l'un des plus célèbres postulats d'André SIEGFRIED : « Sous l'apparence mouvante des élections se précisent (…) des courants stables et se dessinent des tempéraments régionaux. » , je souhaite découvrir s'il existe une "mémoire territoriale" en Savoie. Si telle ou telle localité, vallée/micro-pays, pays, province, possède dans sa mémoire collective, inconsciente, un facteur explicatif des similitudes observées entre des résultats électoraux régionalistes et indépendantistes. Le problème de cette recherche, je l'ai énoncé ci-dessus, est qu'il n'a jamais existé de mouvements revendicatifs identitaires en Savoie, ni de mouvements politiques majeurs, sauf depuis 1972/1986 avec le MRS. Doit-on pour autant éviter de parler de "mémoire territoriale" ? De "tempéraments régionaux" ? C'est ce que je vais essayer d'aborder.
Je vais tout d'abord me pencher sur une définition de la Ligue savoisienne. Comment percevoir ce mouvement politique dans un cadre territorial savoyard ? Sa vocation première étant de faire aboutir le projet d'un retour à la souveraineté savoisienne, quelle est véritablement sa place dans l'arène politique locale. Est-elle celle d'un groupe folklorique ? Celle d'une association ethno-culturelle ? Celui d'un parti politique ? Ou bien celui d'un mouvement simplement contestataire ? L'existence d'une typologie importante pour définir un tel groupe - mouvement régionaliste, autonomiste, indépendantiste, séparatiste, nationalitaire - et l'utilisation maladroite qui en est faite participent à la difficulté relative de percevoir ce mouvement. Sans oublier que certains les utilisent aussi dans un but précis. Mais pourquoi ? Quels acteurs ont intérêt à cataloguer la Ligue savoisienne et dans quel but ? Quelles sont ces stratégies : attaques envers un probable concurrent, jeux de séduction ou bien tout simplement une ignorance (calculée…) ? Et quelles réactions provoquent ces jugements parmi les dirigeants et les adhérents du mouvement ?
Après cette approche des représentations chez les acteurs locaux, nous pourrons analyser l'entrée, à proprement parler, dans la compétition politique de la Ligue savoisienne. Si l'année 1998 marque la date précise de cette entrée dans le jeu électoral, il est important de connaître la raison de ce choix. En effet, dans les premiers temps, il était interdit aux Savoisiens de participer à la conquête du pouvoir par le truchement des élections car cela revenait à reconnaître une autorité de l'Etat contesté. Comment est-on passé de cette situation à celle d'un mouvement qui s'institutionnalise en présentant des candidats à chaque élection, locale, dans les deux départements savoyards ? Et surtout quel a été l'impact de ce changement de stratégie ? Nous découvrirons ainsi les cartes des résultats électoraux de chaque scrutin qui nous permettront d'aborder notre réflexion concernant l'interprétation géographique des résultats. Ces résultats prouvent-ils l'adhésion complète au projet souverainiste de la Ligue savoisienne ? Existe-t-il une mémoire territoriale que l'on tente d'instrumentaliser ? Ou bien, l'expression savoisienne trouve sa pertinence dans un vote stratégique de contestation du local ?

Cependant, avant d'aborder notre sujet, il est important de présenter rapidement la Savoie par son aspect géographique afin de comprendre les lieux dont on va parler et comprendre certaines réflexions qui auront court au long de cette analyse.

Du particularisme savoyard : un paradoxe géographique ?Pour reprendre un bon mot du Conseiller Régional de Rhône-Alpes, Jean Excoffier, « La Savoie n'est pas une île ! » Une boutade qui rappelle le problème corse et la revendication d'une partie de sa population. En effet, les Savoyards et les Savoisiens ne peuvent s'appuyer sur un particularisme géographique comme l'insularité, ni sur une langue, encore moins sur une religion ou une race (BRASSOUD, 1999). Le particularisme savoyard repose uniquement sur une histoire particulière dans un cadre géographique. Un particularisme que l'on définit souvent comme un triptyque rassemblant les facteurs géographique, historique et culturel (LOVIE, 1977, JANOVER, 1978, BRASSOUD, 2001). Les trois sont intimement liés et forment une identité qui donne lieu à une revendication du droit d'exister, d'être différent, mais surtout à s'autogérer. Le régionalisme savoyard tentera d'articuler ces composantes afin de faire passer le message d'une « Savoie, Une et Indivisible ». Pourtant cette unité n'est pas vraiment une caractéristique géographique de la Savoie.
Définir le territoire savoyard et son découpage interne revient à suivre, à l'aide d'une carte géologique, les lignes de crêtes qui définissent les différents bassins-versants. La Savoie est composée de grandes vallées que l'histoire va façonner en six provinces distinctes. Le Chablais, le Faucigny, la Tarentaise et la Maurienne reprennent en effet les vallées de la Dranse, de l'Arve, de l'Isère et de l'Arc. La Savoie Propre et le Genevois, « plus indéfinis » (PALLUEL-GUILLARD, 1999), regroupent des sous-ensembles où les capitales respectives ont une influence somme toute relative (BRASSOUD, 1999, 2001). La carte suivante (Carte n°1) et l'extrait tiré d'un ouvrage d'André Palluel-Guillard (nous soulignons, 1999), nous apportent une vision plus fine de ce territoire. Même si l'auteur traite d'une époque révolue, la description reste, aussi surprenant que cela puisse sembler, très actuelle : "..." (l'Aigle et la Croix, ed. Cabédita, 1999)
Cette description complète pose bien l'un des problèmes de la Savoie : sa divisibilité. Pourtant cela n'empêche pas le maintien, de façon inconsciente, de cette unité toute savoyarde. Si l'on se définit de façon prioritaire de tel village, de telle vallée, de telle province, à l'extérieur l'on est avant tout Savoyard. Développerait-on aussi bien le culte de cette indivision du divisible !
Sur une échelle spatiale plus grande, la Savoie se trouve au « cœur de l'Europe », pour reprendre un des slogans de la Ligue savoisienne. Sa position en contrefort des Alpes a permis aux différents souverains de la Maison de Savoie de devenir les maîtres des cols alpins ou plus communément appelés « les portiers des Alpes ». Un rôle qui leur a permis d'être des personnages incontournables dans la diplomatie européenne du XVIIe au XIXe siècle. Mais cette position leur a valu aussi des convoitises comme le soulignent les nombreuses invasions de la Savoie (François 1er, Henri IV, Louis XIII, Louis XIV, 1792, L'Empire). La montagne, loin de signifier une barrière, a permis à des sociétés humaines de tisser des liens économiques, mais aussi et surtout culturels entre la Savoie, le Valais, le Val d'Aoste, le Val de Suze. Liens qui ont été partiellement brisés à l'occasion du rattachement de la Savoie à la France par le Traité de Turin en 1860, c'est ce que l'on pourrait appeler le sacrifice sur l'autel des frontières naturelles (SELEIR, 1994).

Conclusion
« Il faut partir des réalités en train de se faire. Et nous voyons qu'elles sont, d'une part continentales, bien au-delà des nations, d'autre part, locales et régionales, bien en-deçà des nations. »
Denis de Rougemont

J'ai souhaité, au cours de ce travail, présenter ce que je considère être la recherche de légitimité d'un mouvement autonomiste, la Ligue savoisienne. Pour les acteurs traditionnels locaux, comment un mouvement identitaire et séparatiste peut-il voir le jour en Savoie, alors qu'à aucun moment de l'histoire il n'y a eu de revendications spécifiques afin d'obtenir un statut particulier ?
L'étude de l'histoire intime de la Savoie démontre pourtant que déjà sous le régime sarde, des hommes politiques Savoyards réclamaient déjà que l'on accorde un statut à la Savoie se rappelant qu'elle fut le berceau d'origine de la dynastie des de Savoie, mais sans résultat. Après son annexion, la population s'est trouvée confrontée brutalement à l'organisation territoriale et administrative française quand elle comprît que les fonctionnaires piémontais furent remplacés par des fonctionnaires français et non des Savoyards. Malgré cents ans passés, trois guerres, ce sentiment inconscient d'appartenir à une entité distincte, cet « esprit de famille » comme l'a décrit dans sa conclusion Jacques Lovie, et ce désir de rester maître chez soi n'a pas disparu. Et depuis le centenaire de l'Annexion en 1960, les Savoyards le font savoir, en 1965, en 1972, en 1986, puis aujourd'hui avec l'émergence d'un courant séparatiste comme la Ligue savoisienne.

Le mouvement savoisien, bien que se distinguant des régionalistes par son projet souverainiste, participe à sa manière de cette revendication latente, cette demande locale de plus en plus concrète de vouloir gérer son pays. Pour paraphraser, Denis de Rougemont, qui a soutenu le MRS dans les années soixante-dix, quatre-vingt, les Savoyards déclarent que « l'avenir est (leur) affaire. »

La Ligue savoisienne profite de cette revendication, de ces mécontentements qui s'accumulent, pour promouvoir un Etat souverain. Ses dirigeants instrumentalisent non pas un territoire, mais la revendication des populations locales. Le projet souverainiste n'est rien d'autre que l'expression de ce désir de maîtrise de la Savoie par les autochtones. Pour cette raison, la Ligue savoisienne est un mouvement identitaire. Pour cette raison, elle est aussi contestataire et politique car elle traduit ces aspirations. Pour cette raison, elle se place dans un continuum historique. Il faut souligner aussi qu'elle apparaît radicale dans son discours critique de l'Etat français, mais pour émerger politiquement, en dehors d'une idéologie construite, la polémique lui permet d'exister face aux acteurs traditionnels français.

Certains diront qu'il est trop tard, que cette revendication du pouvoir de gestion territoriale arrive bien tardivement, mais cette revendication démontre peut être que les Savoyards sont aujourd'hui mûrs pour décider enfin de leur avenir. Par cette réflexion, je ne défends pas le projet souverainiste car je pense, intimement, que les Savoyards, tout comme les Savoisiens, n'aspirent pas à une séparation. Mais ce projet savoisien se place dans le débat actuel d'un accroissement de la décentralisation française. A savoir si les Savoyards sauront profiter de cette situation, je vous donne rendez-vous à l'occasion des régionales de 2004. Pour moi cette date représente une seconde chance, après 1972, pour la Savoie.
Le changement de scrutin sous la forme de liste régionale permettra peut-être enfin de voir la réunion des intérêts des régionalistes, des hommes politiques, qui avec ce changement ne disposeront plus d'une légitimité locale, et de la revendication de la population savoyarde. La Ligue savoisienne ne sera nullement gênée par l'obtention d'une région car cela confirmera sa légitimité et elle profitera de cette situation pour réclamer encore plus de prérogatives pour la Savoie. L'échec ne fera que confirmer aussi sa demande. Et, si toutefois, le gouvernement décide de revenir à une élection par circonscription départementale et que les hommes politiques locaux s'en satisfassent, alors la Ligue se maintiendra dans son rôle et peut-être qu'elle obtiendra plus qu'un représentant dans la future assemblée régionale.

BENVEGNU / BIENVENUE | ABADTÈ - LIENS UTILES | ETUDES ET RECHERCHES SUR LA SAVOIE - BENOÎT BRASSOUD